Le fil de fer recyclé en sombres créatures
La série "Cauchemar" de mes sculptures de métal en récup est plutôt sombre, chaotique et torturée. Toutes les sculptures recyclées de cette série sont réalisées principalement en clous, vis, fils de fer rouillés et parfois brûlés.
Le fil de fer est un matériel de base pour les sculptures car il est plus ou moins souple. Ils peuvent être plutôt rigides, permettant de créer le squelette de la sculpture alors que les plus souples, facilement déformables, permettent de jouer sur les détails et permettent de créer divers effets. Il ne faut pas non plus oublié l'état de rouille des fils de fer, apportant différentes variations de couleurs aux sculptures. Enfin, ils sont l'élément principal permettant de lier les autres éléments et de consolider chaque œuvre.
Si les matériaux sont assez simples, il faut d'autant plus donner un sens et une émotion à ces fils de fer recyclés. Car bien qu'elles semblent aveugles, ces sculptures en fil de fer trahissent leurs maux au travers de leur posture traînante, accablée, douloureuse, écorchée.
Cette série s'est cependant enrichie de nouveaux matériaux recyclés: des fils d'alimentation et des chambres à air de vélos et de motos de récup. Ces nouveaux éléments ont permis de créer de nouvelles créatures avec une enveloppe plus ou moins décomposée. Les chambres à air apporte un aspect "momifié" sombre qui tranche avec un squelette métallique.
Voici un exemple de créature ci-dessous.
Du Dark Art Recup
Les sculptures recyclées de la série cauchemar ont un style bien particulier. Si l'Art Récup peut se définir comme « avec rien faire tout », citation du fondateur de l'Art Récup Ambroise Monod, ces créatures cauchemardesques illustrent parfaitement cette autre citation de ce grand monsieur « Retrouver dans la décharge le chaos originel ».
En effet, l’amoncellement et l'assemblage chaotique de la matière métallique en fin de vie amène à l'émergence nouvelles formes; il nous conte un nouveau chaos qui n’est plus dans la matière elle-même ou dans son environnement, mais dans ce qu’elle exprime. Pourrait-on parler de Dark Art Récup ?
Les créatures de la série cauchemar sont nées d'un concept de monde mourant où les restes de l'humanité prennent vie pour marcher comme des martyrs, à l'infini. Quand je crée ces créatures, il y a une intention, mais à la fin, elles écrivent leur propre histoire, à mes yeux mais aussi dans l'imaginaire de leurs spectateurs.
Ces créatures de fil de fer rouillé sont nos cauchemars car jamais elles ne cessent de fouiller la terre de leur stridence. Elles sont nos cauchemars car elles caricaturent nos déambulations existentielles, telles une allégorie malsaine de nos vies. Ces fantômes d'acier sont une non-vie éructée du sol, qui traînent l'inéluctable de leurs saccades jusqu'à leur effritement.
Et dans cette danse moribonde aux mouvements improbables, absurdes, torturés, chaque clou est autant de stigmate craché aux consciences des bien-voyants.
Dans un article précédent, je présentais Les trois écorchés de la sagesse, ces sculptures également en fils de fer font partie de la série cauchemar et sont aussi la parfaite expression de notre ignorance face à l'accumulation de déchets.
Alors, prêt à plonger dans les entrailles de résurrections agitées ?
Spine Syndrome: ... un brin biblique... Il fut le précurseur, celui dont le crâne sortit de terre en tout premier. Chargé des stigmates qui font son essence, il avance la tête basse, récoltant les traits et les travers. Si chaque pas est une épreuve, l'inéluctable le précède. Il est l'absence de bruit et la rouille aveugle qui dévore les serpents de métal qui se déroulent devant lui. Il imprime d'oxydation le chemin de l'oublie. Il est l'épine originelle, le syndrome de l'entaille qui montre la voie.
Voici l'éclosion. Elle nous offre ses entrailles, à la vie, à la horde, à l’égrainage des stridences. Elle nous offre ses étincelles avortées qui cherchent leur mère et qui crissent d’un amour inconditionnel. Et sur terre, la naissance, une farce poussiéreuse, jetée aux yeux de l’immortalité. Le premier cri était un mensonge. Le second, une douleur. Les suivants un espoir s’auto-dévorant.
Voici Morphogenesis, créature à l'allure démoniaque munie d'excroissances fouillant le sol, dans une recherche tentaculaire dont elle seule connait le sens.
On le dit monstre, Abomination. Incomplétude effrayante. Il n'est pourtant que le vestige d'un temps oublié. Il est le squelette ferreux que le vent élève en instrument. Le repère corrodé de soupirs immenses. Il traîne le fantôme de ses membres comme on hurle de métal. Le fortissimo des lames d'air contre l'acier (inspiration) qui se brise (expiration) en éclat de jour écarlate (inspiration) et qui fragilise encore un peu plus la corde étincelle d'un pianissimo (expiration).
Bicéphale. Il est la dichotomie, la croissance envers et contre tout, l'excroissance crachée des terres souillées de métaux. Il est le désir d'être unique, et pourtant enfante des noeuds aussi impersonnels qu'inachevés. Il est dichotomie, il est deux, quatre, huit, et puis rien. Il est la scission stérile d'une caricature de la vie. La fleur avortée d'un champs d'écueils.
Anathema. Il est l'offrande. L'assemblage oxydé que l'on sacrifie au nom du périssable et du jetable Il est né de la réprobation des débris, brandis à la lumière qui consume comme un doigt accusateur. S'il cherche à s'élever, il s'effritera en poussière cramoisie tel l'éclat d'un appel qui se perd aux oreilles des dieux sourds.
Voici Briseur de coeur, à jamais figé dans la souffrance de son coeur transpercé, lui aussi offrande inorganique et contemplatif.
Voici Révulsion, désarticulation métallique d'un fantôme oxydé.
Les trois écorchés de la Sagesse, sculptures en fils de fer recyclés
Voici les trois écorchés de la sagesse, de la série Cauchemar. Ces trois sculptures en fils de fer de récup sont inspirées des trois singes de la sagesse, symbole d'origine asiatique. Elles ont été réalisées via l'assemblage de cintres de fer, divers fils de fer, des clous, vis et autre morceaux de métaux rouillés.
Elles expriment à leur manière plus torturée la célèbre maxime "Ne pas voir le mal, ne pas entendre le mal, ne pas dire le mal.
Elles sont une allégorie de notre ignorance face à l'accumulation de déchets, empoisonnant la terre et par la même occasion clouant sur place notre humanité dans ce qu'elle a de plus artificielle. Bien entendu, d'autres interprétations sont également possibles comme ceux qui voient des choses et en parlent, mais n'écoutent pas ce que l'on leur dit… Ceux qui ne voient rien, écoutent les autres et en parlent… et enfin ceux qui entendent et voient des choses, mais n'en parlent pas… Chacun pourra y trouver son message.
Ces sculptures en fils de fer recyclés sont actuellement exposées à l'European Art Museum au Danemark.
"Je ne veux plus rien voir"
"Je ne dis plus rien"
"Je ne veux plus rien entendre"
"Ne pas voir le Mal, ne pas entendre le Mal, ne pas dire le Mal". Ils sont le message que la technologie mourante a enfanté. Ils sont la trace monumentale du refus. La clairvoyance étouffée du silence. Le sifflement de l'aveugle et la sourde désolation. Il était un totem tripartite, d'absurde et de traverses cloutées, un fossile lancé à l'éphémère comme on creuse un cri muet à la surface des rétines.
@Vortex
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